André Perrin fut professeur de philosophie au lycée Joffre, à Montpellier — en même temps que Jean-Claude Michéa, auteur entre autres de L’Enseignement de l’ignorance, l’un des premiers livres à décortiquer la façon dont la nouvelle pédagogie s’efforçait de rendre nos enfants idiots. Il fait paraître Postures médiatiques, un recueil d’articles passant au crible les discours du conformisme de gauche qui dominent aujourd’hui les médias. Notre chroniqueur est allé à sa rencontre.
CAUSEUR: Le titre de votre recueil, Postures médiatiques, est partiellement commenté par le sous-titre, « Chronique de l’imposture ordinaire ». Le jeu sur Posture / Imposture est limpide. Il y a cependant dans la « posture » quelque chose de plus, lié justement à « médiatique » : dans un monde du paraître et de la « pensée » instantanée typique des médias, la posture ne s’oppose-t-elle pas globalement à la pensée — qui suppose que l’on pèse en amont ce que l’on s’apprête à dire ?
PERRIN: Une posture est une attitude que l’on adopte dans le monde social pour donner de soi une certaine image : elle implique donc un décalage entre ce que l’on est et ce que l’on veut paraître. Elle est rien moins que naturelle puisqu’elle procède de la volonté et non de la spontanéité. Je ne dirais donc pas qu’elle s’oppose à la pensée en ce que celle-ci suppose « qu’on pèse en amont ce que l’on s’apprête à dire », car on peut « soigner » son image et étudier ses postures. Ce qui est typique d’un certain nombre de nos médias, ce n’est pas une pensée « instantanée », c’est-à-dire purement irréfléchie, mais une pensée qui est déjà médiatisée, en l’occurrence passée au filtre de ce qu’on appelle le « politiquement correct » : la subordination de l’exigence du vrai à l’exigence de ce que l’on se représente comme le « bien » et auquel le vrai peut et doit être sacrifié si nécessaire. Or la pensée vraie, ou la vraie pensée, celle de l’homme dont Aristote nous dit au début de la Métaphysique qu’il désire naturellement savoir, c’est celle qui recherche la vérité et rien d’autre que la vérité. Dans la préface qu’il a donnée à un célèbre ouvrage de Max Weber, Raymond Aron écrit : « La vocation de la science est inconditionnellement la vérité. Le métier de politicien ne tolère pas toujours qu’on la dise ». Les postures des politiques m’amusent donc plus qu’elles ne m’indignent car, d’une certaine manière, elles découlent de leur vocation propre. Ce qui est pour moi objet de scandale, c’est de voir des intellectuels qui sacrifient leur vocation à eux, la recherche du vrai, pour se complaire dans des postures avantageuses qui manifestent leur appartenance au camp du bien. Dans le monde du paraître, on ne se préoccupe pas de dire ce qui est, mais de dire ce qu’il faut. C’est en ce sens qu’on y renonce à la pensée.
Alice Coffin, Judith Butler, François Dubet, Laurent Cantet, Virginie Despentes — ou Annie Ernaux, qui a demandé à Gallimard (et qui a obtenu) la tête de Richard Millet… « Tous ces noms dont pas un ne mourra, que c’est beau », comme dit Cyrano. Singuliers exemples de « penseurs » : le philosophe que vous êtes ne s’étonne-t-il pas de la raréfaction des grands esprits en ce début du XXIe siècle ? Où est passée la pensée — étant entendu que quelques belles figures (Michéa, Finkielkraut et deux ou trois autres) peinent à combattre le flux des impenseurs radicaux ? De la même façon qu’il y a des « économistes atterrés » adversaires de l’économie libérale, pourquoi ne pas créer le club des « philosophes atterrés » ?
Que le prix Nobel de
